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Gratuité des soins de santé: simple utopie ou dangereuse dérive? (Tribune Libre)
13/06/2016 - 03:26

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Dr. Patrick De Moor 

La loi du 8 avril 2013 interdit toute publicité évoquant la gratuité des prestations  s’il est fait référence à l’intervention de l’assurance soins de santé dans le coût de ces soins. Les mutuelles n’y seraient elles pas soumises? Certaines semblent en tout cas n’en avoir cure : « Solidaris » ne se prive pas de vanter cet avantage donné par les mutualités socialistes dans une double page du journal «  metro » daté du 24 mai dernier. 

Le 27 avril dernier, Jean-Pascal Labille, secrétaire générale de mutualités socialistes, annonçait la gratuité des soins pour leurs affiliés dépositaires d’un DMG chez les médecins généralistes conventionnés ou affiliés à une maison médicale.

Des mesures, qui au premier abord, se veulent  être une avancée  sociale au profit des plus démunis… Il ne s’agit pourtant là que de pure démagogie destinée à faire le plein d’affiliés! Surtout lorsqu’on sait qu’il existe une franchise de 25€ (cfr Annonce metro). Le patient BIM qui consulte un MG conventionné récupère donc son TM de 1€ après 25 consultations et l’assuré ordinaire (TM 6€) après quatre. Franchise qu’avait sans doute oublié d’évoquer Mr. Labille lors de ses interventions dans les médias! En tout état de cause ces dispositions incitent surtout à la surconsommation médicale.

Généraliser la gratuité des soins de santé tout en conservant une médecine de qualité, comme l’évoquait récemment un jeune confrère, à peine diplômé, dans le Vif l’Express du mardi 17 mai, est une belle utopie mais dans la réalité des faits un acquis dangereux ouvrant les portes à toutes les dérives…

Imaginez que demain, la médecine soit gratuite pour tous… Quelles raisons auraient les patients de ne pas consulter leur médecin « pour un oui, pour un non », à n’importe quelle heure du jour et de la nuit (de préférence en soirée quand cela les arrange) et n’importe quel jour (férié et week-end compris).

A votre avis, quelle sera la réaction du corps médical, et en particulier des MG en 1ère ligne?

Ils adopteront très vite le créneau horaire 9h-17h et la limitation, voire l’arrêt de leurs visites à domicile. Cela malheureusement au détriment des vrais malades, ayant un réel besoin de soins. Impossible dans ces conditions d’espérer encore une médecine de qualité telle que nous la prodiguons aujourd’hui en Belgique.

La gratuité des soins de santé, par tous les abus qu’elle susciterait, viendrait aussi gravement alourdir le budget de l’INAMI, comme l’a très justement pensé notre ministre de la santé Maggie De Block, en récusant les propos de Mr. Labille: il s’agit sans nul doute d’une incitation à la surconsommation médicale.

La médecine gratuite pour tous est clairement un « non-sens » aussi bien en terme d’économie, qu’en terme de qualité des soins. La médecine est un art qui doit être rémunéré à sa juste valeur, même si il est normal d’offrir un système de faveur aux plus démunis. Faute de quoi l’acte médical sera très vite (dé)considéré et ramené au rang de simple service public… Il ne faudra pas que nos concitoyens s’étonnent par la suite d’une dépersonnalisation de la médecine, les conduisant à être traités comme des numéros: « ticket, file, fermeture à 17h… »

La qualité de la médecine, en plus des progrès techniques dont nous bénéficions, repose essentiellement sur la motivation et le dévouement des médecins à exercer au mieux leur profession. Faites-en des « fonctionnaires de la médecine » et vous perdrez une grande partie de cet enthousiasme  qui les conduit souvent à œuvrer plus de 12 heures/jour pour le bien de leurs patients. Gratuité et considération pour le travail accompli sont rarement compatibles!



Dr  Patrick De Moor

Médecin Généraliste à Bruxelles

Commentaire

Gratuité des soins de santé: simple utopie ou dangereuse...

C'est de la démagogie ni plus ni moins. Si on voulait vraiment aider les plus démunis, c'est la facture des médications qui devrait être revue à la baisse, quand elle est prescrite par un médecin bien sûr. De 1 à 5 euro par consultation est "risible" à côté des 50, 100, voire plus en pharmacie. Payez et vous serez considérés...

Gratuité des soins de santé: simple utopie ou dangereuse...

Bien évidemment, les coûts pharmaceutiques sont bien plus importants : mais obtenir leur réduction de façon significative sera bien plus difficile.

Il faudrait pour commencer uniformiser les prix dans toute l'Union Européenne car il y a des différences allant de 1 à 5 pour des médicaments courants : inacceptable !

Ceci dit, l'accès facile et gratuit chez le médecin de première ligne  est déjà un traitement en soi, bien souvent !

Dr Ceysens

Gratuité des soins de santé: simple utopie ou dangereuse...

Les mutualités socialistes sont malhonnêtes en "oubliant" de mentionner la franchise de 25 € et font avant tout de la propagande, mais mon confrère  De Moor se trompe totalement en pensant que l'accès gratuit aux soins de première ligne favorisera une surconsommation médicale : pendant 40 ans, j'ai exercé la médecine générale en ayant de nombreux patients qui bénéficiaient de l'intervention du CPAS et d'autres auxquels je ne demandais qu'une vignette pour le tiers-payant parce que je connaissais leur situation difficile. Jamais, au grand jamais, je n'ai constaté d'abus de leur part : les patients que vous respectez en tant que patients et non en tant que clients vous respectent aussi et ne vont pas vous déranger sans raison, d'autant plus que cette gratuité (une vraie, totale, sans franchise comme les assurances) ne serait d'application que pour les consultations, ce qui implique tout de même le déplacement du patient chez son médecin.                                                                                                                     Par contre, on sait parfaitement que prévenir vaut mieux que guérir et que bien souvent, une consultation tardive chez le médecin engendre des complications ou une guérison plus difficile et donc des frais supplémentaires.                                                                J'ai bien plus de considération pour Mme De Block que pour Mr Labille, mais il n'est pas étonnant, en tant que libérale, qu'elle soit opposée à cette initiative commerciale des mutualités socialistes, pour des raisons politiques et idéologiques.                                  En conclusion, la santé,  comme l'instruction, est un droit de chaque personne qui devrait être accessible totalement gratuitement.